Les éléments de culture avec lesquels les élèves interagissent en classe sont multifacettes. Ils sont de véritables polyèdres irréguliers qu’il faut parfois regarder de tous bords tous côtés pour les décoder et saisir leur signification. Qu’il soit question d’un roman, d’une photographie, d’un événement historique, d’un artéfact ou de tout autre objet culturel, faire remarquer aux élèves la complexité de divers éléments leur permet d’affiner leur compétence à les interpréter et, bien sûr, d’aiguiser leur esprit critique.
Certaines approches pédagogiques, comme la démarche d’enquête, sont particulièrement favorables à l’étude des réalités complexes, voire des thèmes sensibles. Voyons de plus près cette méthode engageante, stimulante et adaptée à l’enseignement de toutes les disciplines.
Qu’est-ce que la démarche d’enquête?
L’apprentissage fondé sur l’enquête, bien connu sous l’appellation anglaise inquiry based learning (IBL), favorise la découverte par le questionnement et la recherche. Cette démarche active et collaborative amène les élèves à chercher des solutions ou à répondre à des questions dans différents champs disciplinaires. La personne enseignante agit à titre de médiatrice ou de médiateur et invite ses élèves à « aller plus loin que l’information qu’ils ont devant eux » et à mobiliser leur créativité.
Qu’est-ce que cela signifie spécifiquement en contexte d’enseignement? Voici des exemples.
- En culture et citoyenneté québécoise, cette démarche permet d’explorer, d’étudier et d’examiner des réalités culturelles avec rigueur et ouverture.
- En science et technologie, elle est utile pour chercher des réponses originales à une variété de problèmes et analyser le fonctionnement d’objets techniques.
- En art dramatique, elle est l’alliée du processus créatif et un guide pour les élèves qui cherchent à résoudre l’énigme d’une proposition de création.
Comment s’articule cette démarche?
La démarche d’enquête est généralement construite autour des mêmes étapes, mais il existe certaines variantes. Nous nous sommes inspirés de l’article « L’apprentissage fondé sur l’enquête est-elle efficace? » du Réseau ÉdCan pour résumer le processus général.
- Les élèves formulent une question (ou un ensemble de questions) après être entrés en contact avec un élément déclencheur (une image, un problème, une proposition de création, un extrait de roman, etc.).
- Les élèves planifient leur méthode d’enquête.
- Les élèves collectent des données. Ils partent à la recherche d’indices, expérimentent, trouvent des informations et/ou les confrontent à l’aide de ressources pertinentes.
- Les élèves formulent des explications fondées sur les données recueillies et les connaissances acquises.
- Les élèves communiquent leurs méthodes et leurs résultats.
- Les élèves réfléchissent à leur processus d’apprentissage et à leur méthode de travail.
Bref, la démarche d’enquête rend les élèves actifs et mobilise une variété de processus cognitifs et même affectifs. Grâce à sa flexibilité, elle peut s’adapter à l’enseignement de toutes les disciplines et est favorable à l’interdisciplinarité. Les exemples qui suivent, issus de la recherche, rendent bien compte de la versatilité de cette approche.
Une enquête pour développer une citoyenneté critique et sensible
La démarche d’enquête peut être fort pertinente lorsqu’il est question d’aborder avec doigté des thèmes sensibles en classe. La professeure Audrey Bélanger propose d’ailleurs un dispositif innovant pour relever ce défi et permettre aux élèves de développer une citoyenneté critique et sensible. Intitulé EnQuêtes, ce dispositif guide la lecture d’un roman historique grâce à diverses clés de lecture tantôt littéraires, tantôt historiques.
La démarche interdisciplinaire de la chercheuse, qui plonge les « élèves-enquêteurs » dans une lecture à la fois rigoureuse et affective, est construite en trois temps : la mise en contexte, les enquêtes et la synthèse.
Guidée par la personne enseignante, qui a sélectionné des passages du roman au préalable, cette étape de « lecture-découverte » est l’occasion d’amorcer la réflexion. On se questionne d’abord sur l’auteur et ses intentions d’écriture. On s’intéresse à l’année de publication de l’œuvre. On prend ensuite le temps d’observer des photographies historiques pour nourrir les discussions. À la suite de ces échanges, une question de départ est formulée (individuellement ou collectivement). Elle servira de tremplin pour la « lecture-analyse » qui suivra.
Les élèves approfondissent leur interprétation du récit en quittant la fiction. À l’aide d’un « trousseau de clés », ils cherchent des indices dans d’autres récits (ex. : un témoignage, une œuvre, un objet, une exposition). Cette étape leur permet de corroborer des hypothèses de lecture, de les compléter, de les nuancer, voire de les invalider. La « connexion affective » est aussi suscitée durant cette partie du travail d’enquête. Les élèves sont invités à chausser les souliers d’un personnage pour emprunter les chemins de son histoire et se projeter dans sa réalité.
Après la lecture de l’œuvre, les élèves produisent un récit en se fondant sur une variété de documents et de perspectives. Ils deviennent alors les narrateurs de l’histoire. Le travail d’enquête se termine par un retour réflexif écrit à la première personne du singulier.
EnQuêtes est un parcours interdisciplinaire qui allie littérature, histoire et réflexion éthique. Pour accéder à un exemple de parcours historico-littéraire dans un contexte d’enseignement d’un sujet sensible, nous vous recommandons de consulter la section « Littérature » du guide de soutien pédagogique Étudier les génocides.
Une enquête pour éduquer à l’image
D’autres spécialistes (Virginie Martel, Céline Sala, et al.) se sont intéressés à la démarche d’enquête afin de permettre aux élèves de développer leur capacité à lire les images. Ces autrices et ces auteurs rappellent que l’image est la première pratique culturelle des jeunes (cinéma, photo, jeux vidéo, etc.).
Afin de soutenir les élèves dans le développement de cette compétence, les personnes enseignantes sont invitées à constituer un corpus d’images autour d’un sujet ayant une portée sociale et historique. Il est ensuite suggéré de mettre en place une enquête culturelle en trois temps :
- Mettre les élèves en contact avec une première œuvre récente et connue (ex. : bande dessinée, film d’animation, jeu vidéo).
- Inviter les élèves à explorer le corpus d’œuvres et à comparer leurs différents supports. Réaliser une étude critique et une mise en perspective dans le temps. Faire remarquer l’évolution des représentations et les sources d’influence de l’œuvre actuelle.
- Effectuer une recherche documentaire afin de confronter le vrai et le faux concernant le contenu historique. Comparer les éléments représentés aux ressources historiques et archéologiques validées par la communauté scientifique.
Cette démarche interdisciplinaire (histoire, français et art) qui place les élèves dans une posture d’enquêteur est une façon dynamique de les préparer à lire le monde qui les entoure, notamment dans la sphère numérique. En cherchant les traces de la culture avec minutie, les jeunes affinent leur esprit critique.
Conclusion
La démarche d’enquête représente bien plus qu’une simple méthode d’apprentissage; elle est un véritable levier permettant aux élèves de se livrer à une réflexion approfondie sur les éléments de culture qui façonnent leur vision du monde. En les incitant à questionner, à explorer et à synthétiser des informations, cette approche stimule leur curiosité, affine leur pensée critique et les amène à développer leur créativité.
Sources
- L’article « Quatre principes fondamentaux de l’apprentissage par l’enquête » du Réseau d’information pour la réussite éducative.
- La rubrique « Apprentissage fondé sur l’enquête » de Wiki-TEDia, Université TÉLUQ.
- L’article « Un dispositif d’EnQuêtes pour contribuer à la formation citoyenne et critique des élèves » de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.
- L’article « Le processus d’apprentissage par l’enquête » du site Parlons sciences.
- L’article « Développer des compétences en littératie visuelle et multimodale par le croisement des disciplines histoire/français/arts : l’enquête culturelle » de la Revue de recherches en littératie médiatique multimodale.
- L’article « 10 caractéristiques de l’apprentissage par l’enquête » de la Fondation Monique-Fitz-Back.